Le projet de loi de programmation du ministère de la Justice prévoit une mesure d’activation à distance des dispositifs électroniques. Une mesure décriée par de nombreux avocats, mais qui est en réalité plus complexe.

C’est un texte qui agite à la fois la communauté juridique et une partie des internautes sur les réseaux sociaux depuis quelques jours : l’article 3 du projet de loi de programmation du ministère de la Justice pour la période 2023-2027, qui prévoit la possibilité d’activer à distance des appareils électroniques, comme des smartphones, à des fins d’enquête.

Une disposition qui a suscité une vive réaction notamment des avocats du barreau de Paris : dans un communiqué, la Commission pénale de celui-ci a émis des réserves sur ce projet de loi, et en particulier sur "cette possibilité [qui] constitue une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée qui ne saurait être justifiée par la protection de l’ordre public".

Code de procédure pénale

Si les inquiétudes concernent notamment le risque de dérives de telles mesures, que dit précisément cet article de loi ? Celui-ci est rattaché au code de la procédure pénale. Cela signifie qu’il concerne un dispositif qui ne peut avoir lieu que dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction pénale (pas administrative, par exemple) et être déclenché par un juge d’instruction ou un juge des libertés et de la détention.

Dans le détail, le texte dit que "lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent, le juge des libertés ou de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction peut autoriser, dans les mêmes conditions que celles mentionnées au 1er et 2e de l’article 230-33, l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel. La décision comporte alors tous les éléments permettant d’identifier cet appareil. L’activation à distance mentionnée au présent article ne peut concerner les appareils électroniques utilisés par les personnes mentionnées à l’article 100-7", peut-on lire dans le texte.

Essentiellement "des fins de géolocalisation"

S’il évoque bien cette possibilité d’activer à distance le téléphone, l’article précise toutefois que cela ne peut se faire qu’aux "seules fins de procéder à sa localisation". En effet, le texte mentionne que cet article est en réalité un ajout à un article déjà existant, l’article 230-34 du Code de procédure pénale, faisant partie d’un grand chapitre dédié à la géolocalisation. Voici ce que dit déjà l’article en vigueur :

"Dans les cas mentionnés aux 1° et 2° de l'article 230-33, lorsque les nécessités de l'enquête ou de l'instruction l'exigent, le procureur de la République ou le juge d'instruction peut, aux seules fins de mettre en place ou de retirer le moyen technique mentionné à l'article 230-32, autoriser par décision écrite l'introduction, y compris en dehors des heures prévues à l'article 59, dans des lieux privés destinés ou utilisés à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel, ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant des lieux ou du véhicule ou de toute personne titulaire d'un droit sur ceux-ci."

Cela signifie donc que l’activation à distance d’un smartphone sera encadrée par le même article de loi que l’autorisation, pour les enquêteurs, d’entrer dans un garage ou une voiture pour y placer un traqueur GPS, seulement pour la géolocalisation. Et, donc, l’article le précise, cela ne peut concerner que des crimes ou des délits passibles de plus de cinq ans de prison.

Par ailleurs, l’article 100-7 interdit les interceptions "sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’Assemblée à laquelle il appartient en soit informé". Même chose pour les avocats : il serait alors obligatoire de prévenir le bâtonnier. Et pour les magistrats, c’est le premier président ou le procureur général de la juridiction qui doit être averti.

"L’espionnage" limité aux crimes et délits les plus graves

Ce n’est pas tout, car le projet de loi propose d’amender d’autres articles et notamment l’article 706-96 : il y est écrit que "le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur aux seules fins de procéder aux opérations mentionnées à l’article 706-96". Cet article, qui concerne les équipes d'écoute et de captation d'images, rentre dans le cadre de ces "techniques spéciales d'enquête" qui, selon le code de la procédure pénale, ne sont possibles que dans des cas délimités (en résumé, les crimes de meurtres, torture, viols, vol en bande organisée, etc. ainsi que les délits d'escroquerie, de blanchiment, d'association de malfaiteurs, etc.).

Dans ce cas, l’activation du téléphone (ou d’un autre appareil connecté) à distance peut être plus instrusive que la seule géolocalisation, et peut alors servir d’appareil d’enregistrement de sons ou d’images, mais seulement dans le cadre des crimes et des délits les plus graves.

Au fond, la vocation de ce texte est aussi d’encadrer légalement des pratiques d’enquête déjà existantes depuis plusieurs années mais qui ne font pas l’objet d’un cadre dans la loi. Le Conseil d’État, qui a rendu un avis le 3 mai dernier sur le texte, n’a pas émis d’objection sur la géolocalisation, mais a demandé à ce que l’accès aux micros et caméras des téléphones se fasse sur des durées limitées (pas plus de quinze jours, renouvelable une fois) par les enquêteurs.

Publié le 23 Mai 2023 par sur France Inter

Lien :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/que-dit-vraiment-le-projet-de-loi-qui-propose-d-activer-a-distance-des-appareils-connectes-2832405

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